retour La Vie de Chapeau : Lettres 21 à 25
21/ Le directeur de l'aéroport
à monsieur le général Lebel (acteur

Mon général,
Je vous remercie de votre courrier m'informant de l'arrivée dans notre aéroport sur les vols de 10h 40, 11h 20 et 13h 10 de 26 passagers présentant un danger pour notre détecteur de métaux.
A savoir 14 têtes de fémur en acier, 11 clous centro-médulaires, 9 treillis métalliques de hernies inguinales, 8 stents en titane, 6 têtes humérales en vitallium, une plaque de voute crânienne en métal argenté, 34 dentiers, 3 éclats de grenade, une balle de 9 millimètres et un soldat de plomb avalé en 1941 et jamais ressorti.


J'ai décidé en conséquence que le détecteur de métaux serait neutralisé lors du passage de vos amis, afin d'éviter qu'ils ne déclenchent une alarme sans précédent, et que la patrouille de Vigipirate ne se mette à leur tirer dessus.
Pour le transport de l'aéroport à l'hôtel des médicaments de vos camarades, merci de me dire s'il suffira d'une fourgonnette, ou s'il vaut mieux prévoir un camion de 5 tonnes.
Merci également de veiller à ce que ceux de vos amis qui utilisent dans la vie courante des produits dopants type EPO, de beauté type Botox ou hallucinogènes type cigarettes à l'eucalyptus, s'abstiennent de les apporter.


Je vous prie d'agréer, mon général...

 
22/ La directeur de l''Office du Tourisme à monsieur le général Lebel. (acteur

Mon général,


J'ai l'honneur de vous confirmer les réservations d'hôtels effectuées conformément à vos desiderata
1 hôtel 5 étoiles pour deux généraux d'armée. 1 hôtel 4 étoiles pour 6 généraux de corps d'armée. 1 hôtel 3 étoiles pour 8 généraux de division. 1 hôtel deux étoiles anciennes normes pour 9 généraux de brigade nés avant 1937. 1 hôtel deux étoiles nouvelles normes pour 12 généraux de brigade nés après 1937 1 hôtel Logis de France avec douche pour 38 colonels. 1 hôtel Formule 1 sans douche pour 11 lieutenants-colonels. Et enfin, pour les 13 autres, un dortoir collectif avec cabinets à la turque au bout du couloir.
Le petit-déjeuner sera servi aux généraux dans la salle à manger et aux colonels à l'office. Il n'y aura pas de petit-déjeuner pour les autres.

Je vous prie d'agréer, mon général...

 
23/ Le directeur du restaurant Le Zingo
au général Lebel. (acteur

Mon général,

Merci de votre courrier auquel je m'empresse de répondre.
Notre établissement est bien un restaurant deux étoiles mais il ne fait pas de réduction pour les généraux de brigade aussi méritants puissent-ils être.
Il ne fait pas non plus de menu à 15 euros tout compris. Pour ce prix-là je peux à la rigueur vous proposer un bouillon de poule, mais à condition que vous fournissiez la poule.
Je ne saurais trop vous recommander d'orienter vos recherches vers des établissements de moindre standing, comme par exemple "Le Morfale", tenu par un ancien chef étoilé de Saint Malo de Baignon, et réputé pour son dessert, à savoir une génoise en forme de shako, réalisée avec d'anciens biscuits de guerre et fourrée à la concrète de fruits. Sachant qu'il existe de ce gâteau une version réservée aux seniors où la concrète est remplacée par de la compote, accompagnée d'un bol de sirop dans lequel vos amis pourront tremper leur biscuit.

Je vous prie d'agréer, mon général...

 
24/ France Lebel à Monique Bonvilain. (actrice 1)

 

 

Chère Monique,


La réunion du soixantenaire s'est admirablement déroulée. Solennité, rires, émotion, tout y était. Au moment de la séparation - que dans leur vocabulaire ils appellent dislocation comme s'ils n'étaient pas déjà assez disloqués comme ça - la nostalgie était palpable. Comme s'il s'agissait bien d'un ultime grand rendez-vous, précédant cet autre, plus mystérieux, qu'il y a soixante ans, la nuit de leur baptême, ils se sont fixé au paradis des saint-cyriens.

Ce paradis qu'il y a trois jours un nouveau petit co de la Bugeaud vient de gagner. Philippe qui lui était attaché -mais auquel d'entre eux n'est-il pas attaché? - est parti assister à ses obsèques. Je les vois d'ici, lui et ses camarades, serrés les uns contre les autres sur les bancs de l'église que leur petite cotte a réservés pour eux, près d'elle et de ses enfants, comme s'ils étaient de la famille. Et je les entends , à la sortie de la messe, entonner le Pékin de Bahut que, dans leur souvenir, chantent toujours en chœur leurs premiers disparus, Morts pour la France dans un djebel perdu d'une Algérie perdue.

(MUSIC 7. C'était mon copain. Chanté)
...  mon  copain ...

 
25/ Monique Bonvilain à France Lebel. (actrice 2)

Chère France,

Pour une fois, je ne suis pas d'accord avec toi. Si Philippe n'a plus de cheveux et que, l'hiver, il a froid à la tête, ce n'est quand même pas de sa faute. Je ne comprends pas dès lors ton obstination à lui interdire le port d'un chapeau. "Il n'a pas une tête à chapeau" dis-tu. Et alors? Préférerais-tu le voir avec une moumoute qu'il collerait, chacun matin, au pinceau, dans votre salle de bains?
Avec un béret basque et une baguette sous le bras? Avec une casquette à l'envers, la visière sur la nuque?

Philippe n'a-t-il pas le droit après une vie de shako de vivre pleinement une vie de chapeau....?