retour La Vie de Chapeau : Lettres 16 à 20
16/ Les Editions Plon
au général Lebel. (acteur

Mon général,
Nous avons bien reçu votre tapuscrit et vous remercions d'avoir choisi notre maison pour en assurer l'édition.
La lecture de votre ouvrage ne plaide guère hélas en faveur d'une telle entreprise. Vos "Rêveries d'un promeneur militaire" semblent en effet ne devoir intéresser que vous, voire quelques uns de vos camarades qui achèteront votre livre sinon par devoir, du moins par charité.
Le français utilisé, s'il peut convenir pour remplir un cahier d'ordres, est non seulement d'une grande pauvreté, mais encore répétitif. Notre lectrice a compté 130 fois garde-à-vous!, 86 fois haut les mains!, et 73 fois feu à volonté!


Plon ayant édité avec succès nombre de vos grands prédécesseurs comme Foch ou de Gaulle, nous comprenons fort bien votre désir de devenir à votre tour un soldat de Plon.
Si j'avais deux conseils à vous donner, ils seraient les suivants: Premièrement,: faire écrire vos livres par un nègre - il doit bien exister quelque part en Afrique un ancien tirailleur sénégalais parlant encore correctement le français. Deuxièmement: changer votre nom de plume, celui que vous avez choisi, Philippe Lebel, faisant par trop penser à l'obscurantisme du Moyen-Age, obscurantisme que l'on retrouve d'ailleurs au niveau de votre pensée.
Merci de bien vouloir soulager nos étagères en venant récupérer votre manuscrit avant le 24 octobre, date après laquelle il sera mis au pilon.


Je vous prie d'agréer, monsieur...

 
17/ Le directeur du Théâtre de Verdure à monsieur le général Lebel (acteur

Mon général,
J'ai le regret de vous informer que vous n'avez pas été retenu pour interpréter le tambour-major dans l'opérette d'Offenbach que notre compagnie donnera cet été.
Cependant, eu égard à votre assiduité aux cours et aux efforts méritoires que vous avez accomplis pour donner à votre voix une texture moins militaire - on ne s'adresse pas à l'occupant d'un fauteuil d'orchestre comme à un soldat assis sur sa musette - nous vous proposons de jouer dans notre prochaine représentation du Cid le rôle du hallebardier, rôle plus important qu'il n'y paraît puisque c'est vous qui, avec le manche de votre hallebarde, frapperez les trois coups.


Je vous prie d'agréer, mon général...

 

18/ France Lebel
à Monique Bonvilain. (actrice 1)

Chère Monique,
Le caractère de Philippe ne s'améliore pas avec l'âge. Il devient soupe au lait et s'énerve pour un rien.
Il y a quinze jours, il a donné un coup de pied au chien du voisin qu'il avait surpris à lever la patte sur l'un de ses grenadiers. Hurlement du chien, irruption du voisin qui s'est mis lui aussi à gueuler jusqu'à ce Philippe se mette à lui lancer des grenades. "Je vais porter plainte à la Gendarmerie!" a braillé le voisin "N'oubliez pas de leur dire que la prochaine fois, ce seront des grenades réelles" a répliqué Philippe.


La semaine dernière, nouvel incident. Philippe ayant poireauté trois heures en gare de Toulouse en raison d'une grève de la SNCF, il s'est refusé à prendre un billet retour. "Vous n'avez pas de billet?" a demandé le contrôleur. "Non, je fais la grève des billets" a répondu Philippe. S'en est alors suivi un échange de propos aigres-doux du genre: Je commencerai à payer ma place quand vous arrêterez de faire grève! La grève est un droit! Votre seul droit est de faire rouler les trains! Votre devoir est de payer votre billet! Mon devoir serait de vous foutre ma main sur la gueule! Je vais en référer à mon syndicat! Votre syndicat, je l'emm... Les passagers du wagon ayant pris fait et cause pour Philippe, le contrôleur a fait arrêter le train et, après en être descendu, s'est allongé en travers des rails. Il serait actuellement à Royan, soigné pour dépression nerveuse, dans une luxueuse maison de repos appartenant à la CGT.
Je ne te cache pas que je préfèrerais voir mon Philippe moins prompt à l'invective. Mais qu'y puis-je? C'est mon homme, et je l'ai dans la peau.

(MUSIC 6. C'est mon homme. Chanté)
mon homme

 
19/ Monique Bonvilain
à France Lebel. (actrice 2)

Chère France,


Tu as du, comme moi, lire le dernier bulletin de la Bugeaud et constater que nos chers maris ne sont pas les seuls à souffrir des vicissitudes de l'âge.
Témoin ce petit co qui, va devoir faire opérer son œil directeur pour avoir, lors de la lecture des lettres de l'alphabet, confondu le O avec un arbre en boule et le u minuscule avec un grand U. Rien de bien grave au demeurant.
Comme lui a dit son ophtalmo: "Vous avez une cataracte. Le Nil, lui, en compte 7. Restez modeste..."

" Avant d'ajouter, en guise d'encouragement, ces mots admirables: "Souvenez-vous de ce qui disait le Petit Prince: On ne voit bien qu'avec le cœur..."
Cet autre encore qui, ayant échoué à faire reconnaître la responsabilité de l'armée française et le lien de cause à effet existant entre la mastication de biscuits de guerre et de concrète de fruits d'une part, et la perte de sa dentition d'autre part, se retrouve confronté à un choix cornélien. Soit vendre sa maison pour pouvoir se payer des implants. Soit prendre un dentier, sachant qu'il ne pourra plus manger qu'avec une paille, et que lui seront désormais interdits les mots composés de sifflantes tels que (NDLR:à lire en zézayant) 2 S, Viréze-vohuss messieurs bazars ou Tuss vorace!

Cet autre toujours qui, après avoir consulté différents spécialistes, en est arrivé à la conclusion que les audio-prothésistes n'y entendaient pas mieux que lui. C'est à dire presque rien, puisqu'à moins de lui placer un haut-parleur de 500 kilowatts dans le vestibule, il est condamné à ne même plus entendre un char Leclerc passer dans son salon.
Cet autre enfin qui, ayant choisi de se séparer d'une prostate maligne, a reçu d'un petit co ce poème où la délicatesse des sentiments et la richesse des rimes le disputent au courage, tant il est vrai que pour versifier sur une prostate, il faut en avoir dans la culotte.
La prostate (lu par PMV)

Comme un vaisseau des mers que l'ouragan démâte
Te voici désormais dépourvu de prostate
N'aie nul regret ami pour cet organe traître
Qui durci par les ans pesait sur ton urètre
Pas un pleur à verser sur cette piètre glande
Les deux qu'on t'a laissées forment une guirlande
Dont nombre d'entre nous pourraient s'enorgueillir
Et envier la main venue pour les cueillir

Garde toi de nourrir quelque pensée morbide
En voyant le sillon qu'a creusé dans ton bide
Le fer du chirurgien dont le geste précis
A rendu son aisance à ta noble vessie

Finies les ondes courtes A nouveau le grand flux
Qu'indûment retenait l'organe superflu
A uriner d'un jet te voilà émérite
Maintenant que fonctionne à nouveau ta durite

Tu es débarrassé de l'infâme viscère
Dont la science elle-même ignore à quoi il sert
De ferme qu'il était il est devenu mol
Et gît dorénavant dans son bain de formol

Ton courage fut grand et de ton caleçon
Nulle plainte échappée Pour nous quelle leçon
Tu as affronté seul le coup de bistouri
Et retrouvé enfin la liberté chérie

Je te dédis ces vers que je t'avais promis
En modeste hommage à ta prostatectomie
De cette ablation j'aurais été le chantre
Et m'incline humblement devant ton fier bas-ventre

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20/ France Lebel
à Monique Bonvilain. (actrice 1)

Chère Monique,
J'ai lu, comme toi, le dernier bulletin de ces grands enfants de la Bugeaud que sont nos maris. Je sais que cela ne me regarde pas, mais j'ai eu le sentiment qu'il y manquait quelque chose. Où étaient, à quelles pages, en quel nombre, ces hommages à leur secrétaire qui devaient s'y trouver?

 

14 ans d'écoute et de fidélité. Deux septennats de bulletins, de travail quotidien et de pannes d'ordinateur, d'emportements et de tendresse, de clins d'œil et de mots pour chacun. Pour solde de tout compte, François, "l'homme qui murmurait à l'oreille des petits cos" s'est vu remettre un sabre sans histoire et Sophie un bouquet de fleurs éphémères. Quand les petits cos auraient pu, auraient dû accrocher à la boutonnière de François le ruban rouge de la Légion d'honneur, et entourer le cou de Sophie, à défaut de perles ou d'émeraudes, du collier de leurs bras.

Philippe va être maintenant très occupé par l'organisation du soixantième anniversaire de la promo: acheminement, hébergement, repas de gala, etc. Il ne devrait pas manquer un bouton de guêtre, et ce d'autant plus facilement que cela fait 50 ans qu'il n'y a plus de guêtres dans l'armée française.

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