retour La Vie de Chapeau : Lettres 11 à 15

11/ La Galerie Pain-Se
à monsieur Lebel
. (acteur

Monsieur,


Je suis au regret de vous informer du refus de notre conseiller artistique d'exposer vos œuvres dans notre galerie.
S'il est vrai que le beau en peinture n'existe pas - vos tableaux en sont d'ailleurs la parfaite illustration - une œuvre picturale se doit néanmoins de ne pas heurter durablement la sensibilité de ceux qui la contemplent.
Si votre idée de peindre sur des matériaux de récupération est intéressante, je ne vous cache cependant pas que c'est la première fois que je vois des œuvres peintes sur des couvercles de caisses à munitions ou des capots de jeep.


Plus contestable en revanche nous est apparue votre idée de prendre pour sujet exclusif des scènes de la vie quotidienne à l'intérieur des murs d'une caserne. Pourquoi ne peindriez-vous pas plutôt les murs eux-mêmes, sachant que la peinture en bâtiments peut procurer de belles satisfactions.
Si je devais vous donner un conseil, ce serait de continuer à peindre, peut-être pas au pistolet comme vous le faites actuellement, mais au fusil-mitrailleur qui aurait sans doute plus d'impact.

Je vous prie d'agréer, monsieur....

 
12/ Monique Bonvilain à France Lebel. (actrice 1)

Chère France,


La société qui emploie Georges lui a demandé d'effectuer un bilan de santé. Lui qui n'a jamais été malade de sa vie, entre demain à l'hôpital pour une série d'examens. Le seul examen que Georges ait jamais réussi au cours de son existence étant celui de Sain-Cyr, j'espère que tout se passera bien, et qu'il ne sera pas recalé. Cela dit, je me demande ce qu'il va bien pouvoir raconter au médecin. Comme tu le sais, Georges n'est pas du genre qui se plaint.

(MUSIC 4. Je ne suis pas bien portant. Chanté)
..pas bien portant ...

 
13/ Le docteur Quoideneuf
à Madame Bonvilain (acteur

Chère madame,


Ce petit mot pour vous confirmer ce que je vous ai dit, ce matin, au téléphone, à savoir que votre mari ...
s'est enfui de l'hôpital, cette nuit, après avoir trompé la vigilance du gardien que j'avais fait placer devant la porte de sa chambre, suite à ses précédentes tentatives d'évasion.
J'ignore où il se trouve en ce moment, mais il n'a pas du aller bien loin puisqu'il est parti en pyjama.
Votre mari a été un patient particulièrement difficile, qui faisait semblant de prendre ses médicaments pour en réalité les mettre dans la plante verte du hall d'entrée qui est maintenant crevée.

Il a fait preuve d'une indiscipline permanente, organisant par exemple des batailles de canes avec les patients du service orthopédique, ou tenant aux infirmières des propos tels que

"Vos seins sont les seuls obus que j'aime", propos qui serait en fait une citation d'Apollinaire, ce qui n'excuse rien.
La médecine traditionnelle se révélant impuissante à soigner votre mari, j'ai écrit, ce jour, à l'un de mes amis psychiatre qui pourrait utilement cerner sa personnalité complexe.


Je vous prie d'agréer, chère madame...

 
14/ Le docteur Fohut
au docteur Quoideneuf (acteur

Cher confrère,
Comme vous m'en aviez prié, j'ai reçu en consultation monsieur Bonvilain dont vous aviez omis de me dire qu'il avait passé 35 ans de sa vie dans l'armée française et qu'il se trouvait donc dans un état de délabrement psychologique avancé.
Ce renseignement sur ses antécédents m'aurait évité de perdre mon temps, et surtout mon argent puisque ce monsieur a refusé de me régler mes honoraires: "Je ne paie pas les charlatans!"

Comme il a également refusé de s'allonger sur mon divan "Je ne me suis jamais couché devant personne!" j'ai préféré écourter la séance et l'adresser au docteur Peaufin. Ce dernier, expert reconnu des maladies mentales en milieu militaire, est installé à Paris, à proximité du 231 boulevard Saint-Germain, siège de l'état-major, et son cabinet ne désemplit pas. Quant à la maison de fous qu'il dirige parallèlement, elle est également pleine, mais je suis sûr que le colonel Bonvilain pourra y être admis sur titres, de même que pourraient y être admis sur titres ceux qui l'ont nommé colonel.


Je vous prie d'agréer, cher confrère....

 
15/ France Lebel
à Monique Bonvilain. (actrice 1)

Chère Monique,


Contrairement à ton mari, Philippe a bien voulu voir un psychologue, et accepté dans la foulée de suivre deux thérapies:censées lui permettre de retrouver son moi profond: l'écriture et le théâtre.
Il a donc commencé la rédaction d'un livre dont je ne peux malheureusement rien te dire, Philippe enfermant chaque soir son manuscrit à double tour comme s'il s'agissait d'un joyau de la littérature.
Trois fois par semaine, il se rend à ses cours de théâtre. Là encore c'est le black-out complet, mais tel que je le connais je le vois mal accepter de jouer un rôle qui ne soit pas le premier. Après les feux de la guerre, les feux de la rampe! Il s'y voit déjà!

(MUSIC 5. Je m'voyais déjà. Chanté)